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Après notre séjour chez nos amis les Ch’tis, voici une histoire étonnante et méconnue de ces Chinois débarquant dans la Somme à Noyelles sur Mer en 1917.
Le camp de Noyelles a accueilli 12 000 travailleurs Chinois entre 1917 et 1919.
En Avril 1917, un contingent de travailleurs Chinois débarque en gare de Noyelles. Originaires de la Chine du Nord, ils ont été enrôlés par l’Armée britannique pour venir travailler en France. Avec leurs bâtons de bambou, leurs accoutrements exotiques et cette drôle de façon de parler, ces hommes venus d’ailleurs ont un aspect bien étrange pour les habitants de ce petit village de la Somme. Aujourd’hui, le cimetière de Noyelles nous rappelle l’histoire de ces « Fils du Ciel » perdus dans la Grande Guerre.
Ce drôle de cimetière situé à l’écart des habitations, un portail oriental en pierre blanche calligraphié, ouvre ses portes sur 842 stèles impeccablement alignées. La Chine au fond de la baie de Somme entre Le Crotoy et Saint-Valéry-sur-Somme. Tsao Kwan Chiw, Chi Chang Shaw … chaque pierre tombale porte le nom, le lieu de naissance, la date de la mort, le numéro de matricule. Ceux qui ont rempli bravement leur devoir ont été fauchés par la guerre ou, le plus souvent, par la terrible épidémie de grippe espagnole de l’automne 1918 qui foudroya en moins de huit mois la plupart d’entre eux.
Noyelles-sur-Mer est le plus grand cimetière chinois en France. Il en existe un autre à Saint-Etienne-du-Mont, au Sud-est de Boulogne-sur-Mer. 163 travailleurs Chinois y reposent. D’autres tombes sont réparties dans les cimetières militaires britanniques comme à Tincourt-Boucly, près d’Amiens, ou dans des cimetières communaux.
Mais qui donc étaient ces hommes dont les historiens ont si peu parlé ? Pourquoi venir de si loin dans ce déluge de feu ? Ces émigrants ne seront pas des soldats. Jamais ils ne participeront aux combats de nos poilus embourbés dans les tranchées. Ils ont pour mission de remplacer les soldats Anglais aux travaux d’entretien des voies d’accès au front, comme le précise l’accord signé le 30 Décembre 1916 entre les gouvernements britanniques et chinois.Tous volontaires, ils s’engagent à servir l’armée anglaise en échange d’un salaire. Leur contrat de travail stipule l’interdiction de travailler sur les zones de combat et l’obligation de rester à une distance réglementaire de la ligne de front. Ainsi était créé le « corps des travailleurs chinois », des civils qui, paradoxalement, seront soumis au règlement militaire britannique.
Par le jeu des alliances, la Chine fait partie en 1917 des pays engagés dans le conflit aux côtés des alliés. La Chine d’alors n’est pas une colonie mais elle se trouve sous forte influence économique des grandes puissances occidentales qui investissent des capitaux, contrôlent le marché, envoient leurs techniciens dans le pays et bénéficient de concessions ou de territoires à bail.
La France, très présente dans la région de Canton, commence dès le mois d’Août 1916 à recruter 1700 travailleurs originaires de la Chine du Nord pour les employer dans les usines d’armement.
Ce sont souvent des ouvriers regroupés par catégories professionnelles, (manœuvres, forgerons, maçons, mécaniciens, menuisiers, charpentiers), pour être envoyés dans la France entière. Ils travailleront dans les ports, les chemins de fer, les usines sidérurgiques ou chimiques et même dans l’agriculture.
Dans le port de Boulogne, ils seront employés au déchargement de bateaux transportant le charbon en provenance de Southampton. Des camps chinois sont implantés un peu partout dans le Nord (Calais, Wimereux, Boulogne, Abbeville, Fixecourt, Ham …).
A Noyelles, on a parlé d’eux longtemps après la guerre comme si quelque chose avait changé dans le village, avec un avant et un après. « Pensez ! On en a vu circuler dans la commune, sur les routes et dans les champs à proximité de leur camp ».
Les enfants, au début apeurés, se sont vite habitués, ils se poussaient du coude en apercevant les longues nattes surplombant des crânes rasés. Mais ce qui a le plus marqué dans les mémoires des Noyellois et qui revenait souvent dans les témoignages des anciens, ce sont des petits instants de vie au cœur du village, « ils raffolaient de pommes, même les petites à cidre et, comme leur salaire était payé en monnaie française, ils en achetaient énormément ».
Une vieille dame affirma que les rues de Noyelles n’avaient jamais été aussi bien entretenues et quand il faisait froid nos deux cantonniers Chinois allaient se réchauffer à la forge du maréchal-ferrant.
Lors de leur séjour, un petit groupe d’Asiatiques avait construit une pagode en modèle réduit pour agrémenter le camp. Objet de culte ou nostalgie du pays ? Une construction tout en bois et en verre. Elle était belle avec ses petits carreaux biseautés de toutes les couleurs. Après leur départ, on l’a mise dans le jardin du château de Noyelles pour le décorer.
En Mars 1919, 80 000 hommes étaient encore au travail, attachés à remblayer les tranchées, à déminer les secteurs dangereux ou à rembarquer l’énorme quantité de matériel amené sur le front, puis le dépôt général a été démonté. Le calme est revenu le long du canal de la Somme et les Noyellois ont repris leurs habitudes.
Peu à peu la mémoire s’efface. De ces coolies de la Grande Guerre, il ne reste plus aujourd’hui que le cimetière chinois de Noyelles-sur-Mer et ses idéogrammes gravés dans la pierre.
Sculpture dédiée à la mémoire des travailleurs Chinois de la Grande Guerre ; inaugurée à Noyelles-sur- Mer le 4 Février .